Merci Hamit Bozarslan et merci beaucoup à l’Institut d’avoir organisé cet après-midi ce débat dans une période aussi charnière pour la Turquie. J’ai dit période charnière mais au fond toutes les périodes et quasiment tous les jours ont été vécues comme charnières, comme des moments très critiques en Turquie depuis mon enfance; c’est pourquoi on peut aussi soutenir que la séquence actuelle n’a peut-être pas une importance extraordinaire dans cette permanence de l’extraordinaire. Je crois quand même qu’aujourd’hui nous vivons un moment bien plus critique que les moments critiques ordinaires.
Je vais essayer d’apporter quelques éléments de réflexion sur les dynamiques d’autoritarisme de l’AKP et du règne d’Erdogan. La plupart de ces éléments vous les connaissez aussi bien que moi. Je vais essayer de les résumer en deux étapes. Dans un premier temps, je vais essayer de résumer les facteurs d’autoritarisme propres à la sociologie de l’AKP et à la personnalité d’Erdogan, c’est-à-dire les facteurs endogènes d’autoritarisme. Dqns un second temps, je vais essayer de rappeler les facteurs qui facilitent l’autoritarisme de l’AKP d’Erdogan et qui sont ancrés dans la société turque. Autrement dit quels sont les facteurs plus ou moins exogènes à l’AKP mais qui facilitent l’exercice de ce pouvoir autoritaire par Erdogan.Commençons donc par les caractéristiques propres, particulièrement saillantes, de l’autoritarisme dans la dynamique de l’AKP d’Erdogan. Évidemment les caractéristiques que je vais citer ne sont pas exclusivement propres aux autoritarismes turcs. On retrouve certaines d’entre elles dans les autoritarismes modernes que nous appelons de plus en plus les autoritarismes par élection, les autoritarismes démocratiques, etc... Comme par exemple on retrouve ces caractéristiques autoritaires dans l’exercice du pouvoir par Viktor Orban en Hongrie, en Pologne dans le Parti Droit et justice et également chez les conservateurs chrétiens ou bien en Inde dans la reprise de l’hindouisme nationaliste , ou bien dans certains autoritarismes populistes de gauche de l’Amérique latine. Mon objectif n’est pas de faire de l’autoritarisme comparé, mais d’identifier les facteurs propres à l’AKP et plus particulièrement à Erdogan?
Premièrement, il y a un projet de refondation civilisationnel. Erdogan, certains cadres d’AKP et plus particulièrement Davutoglu si vous regardez ses chroniques dans les années 90 dans le journal Yeni Safak par exemple, portent un projet de refondation civilisationnel. Le fait de dire qu l’on va enfin fermer la parenthèse ouverte il y a 90 ans ou 100 ans, n’est pas une formule tombée du ciel. Elle reflète les aspirations fondamentales de l’univers conservateur musulman en Turquie qui, depuis des décennies, se reconnait dans les vers d’un poète de référence pour les conservateurs nationalistes turcs, Necip Fazil, qui est un peu l’équivalent pour les conservateurs nationalistes de Nazim Hikmet pour la gauche : « Tu es l’étranger dans ton propre pays ». Pourquoi ces conservateurs musulmans ont le sentiment de vivre dans leur pays comme un étranger? Parce qu’ils sont dans un pays qu’ils ne reconnaissent pas dans leurs repères civilisationnels. Ils sont musulmans, on leur impose de vivre dans un pays où les repères occidentaux modernes, cravate, calendrier, alphabet, pas de signes religieux extérieurs, libération des femmes, supporter les consommateurs d’alcool, etc… leurs sont imposés. Ça c’est la lame de fond. Le fond du fond de la sociologie politique de laquelle l’AKP puise sa force, comme tous les partis de la droite conservatrice en Turquie depuis la deuxième guerre mondiale, l’AKP en étant la consécration.
Deuxièmement, c’est un fond ethno-nationaliste. L’AKP, avant d’être un parti islamiste est un parti nationaliste. C’est un parti nationaliste qui perçoit, y compris dans l’Islam, la supériorité de l’identité turque, ottomane, sur le reste du monde musulman. Et donc, c’est un parti qui n’abandonne pas du tout son attache ethno-nationaliste. Turc particulièrement, turcophone ou assimilé turc… Ce n’est pas un nationalisme turc aussi marqué que les kémalistes, ni de l’extrême droite nationaliste, c’est à dire ils ne vont pas chercher les origines lointaines de chaque population. Mais ce n’est pas si loin non plus. En tout cas ils continuent toujours à classer la population selon leur origine. Les codes secrets de classement des registres d’état civil selon les origines thno-religieuses de chacun des ressortissants de la Turquie n’ont pas été abrogés lors du long pouvoir de l’AKP malgré leur révélation publique.
Troisièmement, une équation insoluble pour Erdogan qui explique aujourd'hui pourquoi nous sommes aussi dans cette situation de guerre, reprise de guerre peut-être encore plus grave et profonde que dans les années 90 sur le problème kurde. Erdogan et là effectivement Gérard Groc a parfaitement raison, est avant tout quelqu’un qui regarde les résultats des élections et les sondages d’opinion. Il a compris avant les élections de juin 2015, à peu près 4 ou 5 mois avant que la solution pacifique négociée avec le mouvement kurde, du problème kurde, non seulement ne lui apporterait aucune voix mais qu’il lui coûterait beaucoup. Les Kurdes, très contents de cette démarche d’Erdogan, paradoxalement se tournent beaucoup plus vers le parti kurde, HDP au détriment d’AKP. Et les nationalistes turcs d’AKP, mécontents de cette démarche de négociation d’Erdogan se tournent vers le parti d’extrême droite MHP. Erdogan n’avait pas tort dans son anticipation. Les résultats des élections du 7 juin 2015 l’ont confirmé. Les grandes pertes électorales d’Erdogan le 7 juin, (environ un cinquième de ses électeurs par rapport aux élections de 2011) proviennent non seulement d’une dynamique de rejet d’Erdogan et son régime présidentiel (beaucoup de Turcs ont voté HDP non pas parce qu’ils étaient pro-kurdes mais parce que c’était la solution la plus efficace de bloquer Erdogan, de le priver de la majorité qualifiée au parlement) mais aussi du mécontentement de l’électorat nationaliste de la poursuite des négociations à pied d’égalité avec les kurdes. Il faut reconnaître une chose, -et vous savez tous que je ne porte pas du tout un sentiment de sympathie vis à vis des politiques d’Erdogan-, sur le problème kurde, il est devant une équation insoluble. S’il veut gagner les élections, il doit continuer à agir comme aujourd’hui sur le problème kurde, c’est-à-dire par la poursuite d’une politique hyper répressive. S’il veut résoudre le problème kurde et passer à l’Histoire, il faut qu’il accepte de perdre les élections et de perdre probablement le pouvoir avec toutes les conséquences juridiques que cela impliquent. C’est un problème qui va bien plus loin qu4Erdogan. En fait, le problème kurde en Turquie est avant un problème turc.
Troisièmement, évidemment à côté de ce nationalisme, il y a du confessionnalisme. Un confessionnalisme sunnite. Ne serait-ce que hier encore Erdogan pleurait sur la pendaison du leader sunnite au Bengladesh et d’ailleurs il nous faut condamner cette exécution de la peine capitale comme toutes les peines capitales, mais quand un dirigeant chiite est pendu ailleurs pour des motifs similaires, Erdogan reste étrangement muet. Le confessionnalisme sunnite de l’AKP s’exprime par un thème qui vous apparaît anodin mais qui est systématiquement perçu comme tel par la population sunnite. C’est le terme « millî » (national). Quand un sunnite entend millî, il n’entend pas turc, il n’entend pas national, il entend sunnite. C’est pourquoi d’ailleurs Tayyip Erdogan est de plus en plus obligé d’utiliser une sorte de redondance, il ne qualifie pas son projet présidentiel actuellement comme un projet seulement millî, mais aussi comme yerli (indigène). Millî renvoie à la dimension sunnite, yerli à la dimension nationale.
Quatrième caractéristique, le développementisme par tous les moyens. Les gouvernements d’AKP utilisent le bâtiment et les travaux publics comme un outil principal de croissance. En effet la croissance reste relativement élevée en Turquie par cette politique keynésienne à l’ancienne de relance de la demande intérieure. Cela a des conséquences positives pour la classe moyenne par la création des rentes urbaines et créé un grand volant de marchés publics qui permet à l’AKP d’être à la tête d’un très dense réseau de clientèle. En France quand j’ai commencé mes études universitaires en économie, l’expression « quand le bâtiment va, tout va » était encore l’adage principal de l ‘économie française. Erdogan reste fidèle à cet adage d’une certaine manière. Et c’est un développementisme à tout va avec une politique qui n’est pas totalement néo-libérale. Nous critiquons souvent la politique d’Erdogan d’être néo-libérale, mais c’est plutôt une politique sociale-libérale qui n’est pas très loin de la politique de Tony Blair. Une politique sociale active, beaucoup d’allocations pour les familles et en même temps on laisse le marché de plus en plus libre. Et face à cette politique, la social-démocratie a adopté jusqu’à récemment la position classique des élites et des classes supérieures face à aux populations pauvres, c’est-à-dire aider les pauvres c’est les inciter à ne pas travailler, à rester des assistés. C’est seulement depuis quatre-cinq ans que le parti social-démocrate a changé d’attitude à ce sujet.
La création d’un cercle d’hommes d’affaire totalement dépendant des marchés publics et donc du pouvoir n’est pas nouveau non plus. L’AKP a pu substituer en partie aux milieux d’affaires classiques entourant l’Etat turc kémaliste traditionnel, un nouveau milieu d’affaires beaucoup plus dépendant de lui, encore plus arriviste que les précédents mais quand on regarde les romans de Yakup Kadri, ils ne sont pas plus arrivistes que ceux qui étaient présents dans les années 20 et qu’on appelait justement « les affairistes ». C’est un peu la même dynamique. Le nouveau pouvoir crée ses propres affairistes autour de lui avec les moyens modernes et larges de l’Etat Turc d’aujourd’hui.
Enfin, Erdogan poursuit une stratégie à priori contradictoire, celle de la stabilité autoritaire. Cette recherche de stabilité autoritaire, on le retrouve dans la plupart des politiques conservatrices et dans la pensée conservatrice. Il faut un chef, il faut un berger pour guider le troupeau. Erdogan se considère comme un berger élu –par le peuple mais aussi un peu par Dieu!-, mais depuis 2014, il faut reconnaitre qu’il a substitué au projet politique de AKP son projet personnel, c’est à dire de rester au pouvoir personnellement jusqu’à 2024, voire au-delà, comme le Chef d’un régime hyper présidentiel, ce qui n’est pas tout à fait le projet de AKP initialement mais bien celui d’Erdogan. Dans ce sens Tayyip Erdogan lui-mêeme celui-ci est devenu le premier facteur d’instabilité politique en Turquie. Celui qui apparaissait comme un facteur de stabilité après les années 1990 bien troubles, est devenu aujourd’hui un facteur majeur d’instabilité en forçant la société et encore plus son parti pour leur imposer un crise de régime. Cela pourrait apparaître comme paradoxale mais n’oublions pas que les autoritarismes utilisent souvent ces instabilités provoquées pour créer une demande sociale de stabilité afin de se poser comme l’alternatif du chaos. Et c’est ce que Tayyip Erdogan a fait au sujet du problème kurde quand il a compris qu’il risquait de perdre la partie avec le développement de HDP.
Enfin, une vision romantique à la manière du romantisme politique allemand du XIXème siècle, une vision romantique des affaires extérieures. Cette vision est beaucoup plus la marque de Davutoglu. Erdogan est plutôt un conservateur pragmatique. Il a une vague notion de ce que c’est l’histoire ottomane etc. Sa connaissance de l’histoire ottomane ne va pas plus loin que ce qu’il a appris dans les mauvais manuels scolaires du secondaire. Il n’était pas un étudiant très brillant d’ailleurs. Il était plutôt un bon joueur de football et surtout un militant politique dès sa jeunesse. Davutoglu par contre est un parfait idéologue à la manière des romantiques politiques du XIXème siècle allemand. Il a injecté une idéologie romantique de reconstitution de la grandeur passée impériale ou ottomane dans l’imaginaire politique de AKP que Tayyip Erdogan utilise en abondance depuis 2010.
Et enfin, dernier facteur d’autoritarisme d’AKP réside dans l’appropriation des institutions autoritaires hérités. Par exemple le kémalisme a laissé à l’AKP un semblant de laïcité avec une immense armée d’imams et de prédicateurs fonctionnaires dont le nombre dépasse actuellement cent mille. On dit que l’AKP remet en cause la laïcité. L’AKP n’a changé aucune loi ni règlement concernant la laïcité mis à part l’interdiction de porter le foulard dans les universités, les établissements scolaires et pour les fonctionnaires. Ils appliquent formellement la laïcité kémaliste mais évidemment le contenu de cette politique a sensiblement changé en rapport avec le conservatisme du parti. Mais formellement, et institutionnellement ces cent mille imams-fonctionnaires qui constituent aujourd’hui la quatrième force humaine de l’Etat après l’éducation nationale, l’armée et la police, n’ont pas été inventée par l’AKP. Le fait qu’il y ait une Présidence des affaires religieuses, une administration centrale directement rattachée au Premier ministre, qui gère de fait une religion d’Etat officieuse, celle de sunnisme hanéfite date de 1924. Les cours obligatoires de religion dans l’enseignement primaire et secondaire pendant 8 ans ont été introduites par les militaires à la suite du coup d’Etat de 1980. L’AKP a ajouté à ces dispositifs de plus en plus des facteurs de réislamisation de la société. La réislamisation de la société fait partie du projet de refondation civilisationnelle qui rencontre un certain écho dans la masse de l’électorat conservateur.
Deuxième partie maintenant. Qu’est-ce qui dans la société turque facilite l’autoritarisme d’AKP. Quels sont les facteurs exogènes qui favorisent l’autoritarisme de l’AKP ou facilitent sa mise en pratique? Il y a d’abord évidemment l’existence d’un courant nationaliste fort en Turquie. Le MHP, (Parti d’action nationaliste) le parti d’extrême-droite nationaliste, de par la fluidité qui existe au niveau électoral entre ces deux partis, exerce une réelle pression dans le sens de l’autoritarisme nationaliste sur l’AKP. Au retour, l’AKP dispose d’un volant conservateur nationaliste à sa droite sur lequel il peut toujours s’appuyer comme il le fait actuellement et l’utiliser comme une réserve électorale. Le MHP est un avatar de la guerre froide mais il représente aussi un fond ultranationaliste turc, notamment des turcophones d’Anatolie centrale. Il est aussi maintenant présent dans les régions côtières d’Egée, de la Méditerranée et du Marmara et rivalise le CHP dans les bastions de ce dernier.
Deuxièmement, le CHP lui-même est devenu, malgré lui, un grand parti alévite et Erdogan use et abuse de ce facteur pour le marquer dans sa logique de division confessionnelle.
Pris à ce piège, le CHP est cantonné au quart du corps électoral, au mieux parce que même les sunnites qui sont réactifs vis à vis de l’AKP ont du mal à se tourner vers le CHP à cause de son image du parti des Alévis. Deuxièmement, ce parti membre de l’International socialiste, mais nous savons que ce n’est pas une référence suffisante en la matière, montre des réflexes étatistes nationalistes de fond, comme la dernière décision ahurissant du président du CHP de voter pour la suppression de l’immunité des parlementaires, soit disant de tous les parlementaires, mais essentiellement ceux du HDP, tout en reconnaissant publiquement que cet amendement provisoire de la constitution est anticonstitutionnel! Quel est alors l’argument du président du CHP pour faire un tel appel? Si on dit non, affirme-t-il, on va nous accuser de soutenir la terreur. Autrement dit il accepte de se soumettre à la vindicte nationaliste, sécuritaire, sous le mode « que vont dire sinon les voisins ? ».
Enfin troisième facteur qui facilite l’autoritarisme de l’AKP, c’est le PKK lui-même. Le PKK qui mène une lutte armée depuis longtemps, et utilise aussi dans certains moments les moyens de la politique de la terreur, facilite le travail d’Erdogan. Il lui permet de justifier la mise en place d’un régime autoritaire sous couvert des exigences de « lutte contre la terreur ». Il y a d’une part une lutte acharnée, très violente, sanglante entre les militants du PKK et l’armée et la police. Depuis l’été dernier, plus de 300 policiers, gendarmes et protecteurs de villages ont été tués par les militants du PKK. Nous ne connaissons pas le nombre de personnes perdues par le PKK lors de ces affrontements. Probablement beaucoup plus. Donc ce n’est pas du tout une situation où il y a d’un côté la répression de l’Etat et de l’autre seulement des victimes. La stratégie insurrectionnelle adoptée par le PKK créée les conditions objectives de légitimation de l’autoritarisme avancé d’Erdogan et le renforcement de l’Etat sécuritaire. De ce point de vue on peut même affirmer qu’il y a une sorte d’alliance objective dans la violence des deux partis. Parce que PKK ne mène pas simplement une lutte pour obtenir la reconnaissance des droits des kurdes. Certes il mène son combat principalement pour cet objectif, mais il a en même temps une autre ambition qui est de diriger lui-même d’une manière dominante le pays kurde, d’être la puissance hégémonique chez les Kurdes. Et ce deuxième objectif qui est de devenir le pouvoir hégémonique du pays kurde est recherché par les moyens d’un autre autoritarisme, un autoritarisme à résonance de gauche. Le PKK peut difficilement sortir du cercle de la violence. Il subit lui aussi une dépendance de sentier. Et ça c’est la deuxième quadrature du cercle. Nous avons deux forces en affrontement, prisonnier de leurs propres politiques et les démocrates ou la gauche en général pris en tenaille entre ces deux forces autoritaires qui n’ont pas peur de compter leurs morts comme des pertes ordinaires d’une guerre. Je note en passant que le PKK n’est pas l’unique organisation en Turquie qui prône la nécessité de la lutte armée et utilise la violence extrême comme un instrument politique.
Enfin, il faut aussi rappeler que l’autoritarisme d’Erdogan est facilité par la posture des modernistes laïcs turcs. Ces derniers ont du mal à accepter le principe d’égalité avec les kurdes, ils ont du mal à accepter la dynamique de l’égalisation relative de leurs conditions avec celles des populations populaires. Ils manifestent une réaction quasiment de classe, non pas devant leur déclassement qui n’a pas eu lieu mais devant une égalisation même très relative des conditions des autres, celui de menu peuple. Du côté des électeurs populaires de l’AKP, cette haine est bien ressentie. Tayyip Erdogan surfe avec brio sur cette haine ressentie par ses supporters et rappelle plusieurs fois par jour que « si eux reviennent au pouvoir, vous perdrez tout ce que vous avez acquis sous le gouvernement d’AKP », c’est à dire les acquis sociaux et les acquis de la reconnaissance de l’identité musulmane, la liberté de porter le foulard, l’équivalence des écoles d’imam et de prédicateur avec l’enseignement général, l’acceptation des signes de l’islam dans la vie publique. Il faut reconnaître que du côté des modernistes laïcs, par exemple dans le quotidien Sözcü, on peut trouver suffisamment de matériaux pour effrayer un électeur standard d’AKP.
Nous sommes devant quatre facteurs qui alimentent l’autoritarisme de l’AKP. On peut y ajouter un cinquième facteur qui nécessite un développement à part entière et je me contenterai simplement par l’évoquer. Il faut quasiment faire allonger toute la société turque sur le divan afin que toute cette violence rentrée puisse sortir par d’autres moyens, que tous le monde puisse affronter tous les mensonges avalés depuis des décennies, que toute cette immense omerta qui dure depuis un siècle soit brisé afin que la société turque cesse d’avoir surtout peur d’elle-même. A cause de cette peur, en grande partie, elle a besoin de se soumettre à l’autorité paternaliste d’un chef et il faut reconnaître que Tayyip Erdogan joue depuis un bout de temps parfaitement le rôle du père fouettard.