L’attaque de l’Etat-Erdogan au journal Cumhuriyet est conforme au cours actuel des choses en Turquie. « Le coup [d’Etat] est de nouveau contre les opposants » titrait à sa une Cumhuriyet dans son édition de lundi matin, quelques heures avant le déclenchement de l’opération policières contre ses dirigeants et ses journalistes. Cette une résume parfaitement le dessein actuel du pouvoir. Comme l’oukase qui décrète que dorénavant les présidents d’université seront par le Raïs et non élus. Ce changement ne concerne ni de près ni de loin les raisons de la proclamation de l’état d’urgence et selon la constitution il ne devrait pas être promulgué par un décret-loi d’exception. Certes. Mais quelle constitution, quel l’Etat de droit ? Il n’y a plus que Tayyip Erdogan qui s’autoproclame comme « le Chef des maires contrôlant toute la Turquie » devant les maires de village réunis dans son palais. Il n’y a plus aucun organe de presse représentant la sensibilité kurde. La Turquie s’est transformée en une vaste prison pour journaliste. Les média sont devenus des hauts-parleurs du pouvoir dans leur très grande majorité Les maires élues des villes kurdes sont à peu près tous arrêtés ainsi qu’une ancienne députée de HDP. Le cercle se resserre de jour en jour autour des députés HDP menacés d’emprisonnement depuis la perte de leur immunité parlementaire. On fait tirer sur les jambes du vice-président du CHP dans sa circonscription par un militant d’extrême-droite pour avertir les dirigeants de ce parti selon des méthodes mafieuses. Et on donne le feu vert à l’armement du peuple d’AKP. L’accusation d’être en lien avec une organisation terroriste est devenue le prétexte suffisant pour enfermer ou pour saisir les biens de toute personne, de toute organisation qui dérange le pouvoir ou dont les biens créent un certain appétit. L’accusation de terroriste et de putschistes sont devenues tellement passe-partout que l’on peut être accusé d’être en lien en même temps avec le PKK et le FETÖ (organisation terroriste de Fetullah) ou d’avoir préparé psychologiquement la légitimité du coup d’Etat en critiquant tout simplement le gouvernement. Tous ces faits tragi-comiques et bien d’autres font partie du même cours des choses.
La voix qui proclamait la nécessité de prolonger d’au moins une année l’état d’urgence est entrain de former une coalition avec ceux qu’il aguiche avec la proposition de rétablir la peine de mort. Cette coalition de nationalistes turcs et de sunnites communautaristes passe comme un rouleau compresseur sur la société pour qu’il ne reste aucune aspérité, aucune note discordante, aucune couleur disharmonieuse dans cette Turquie nouvelle « une et unie » conduite par le Raïs.
La direction de la cour des choses est claire. Le terme de l’autoritarisme n’est plus suffisant pour décrire cet état. On est tenté d’inventer des contradictions dans les termes comme la dictature élective. D’autres préfèrent utiliser le terme de « démocrature ». Mais que reste-t-il aujourd’hui en Turquie de la démocratie pour que la contraction du ce mot avec celle de la dictature soit justifiée ? L’exécutif, le législatif et le juridique sont dirigés par la même main. De la culture à l’éducation, des média aux politiques de la ville, toutes les politiques sont désormais télécommandées par les tendances revanchistes, opportunistes, revivalistes, réactionnaires ou nationalistes qui se retrouvent dans le parti dominant. Comme le Poutinisme qui est le reflet des caractéristiques saillantes de la société russes, l’Erdoganisme est en phase avec cette majorité qui forme la nation d’Erdogan. Le coup d’Etat avorté sert désormais de prétexte pour imposer un régime de contre coup d’Etat.
Face à cette cours des choses, nous n’avons qu’un seul moyen: se rassembler dans une plateforme de la démocratie. La rencontre organisée il y a quelques jours par l’initiative de l’Union pour la Démocratie représente ce dont nous avons le plus besoin immédiatement. Sans s’enfermer dans les appartenances organisationnelles, cette initiative exprime le besoin de créer des failles dans cette hégémonie conservatrice turque et sunnite, et de faire face ensemble contre cette domination aux accents fascistes. Le 23 octobre les initiateurs de cette initiative se sont réunis et ont pris la décision d’utiliser “par les moyens légaux et démocratiques, les droits de surveiler le pouvoir, de se soutenir et de résister”. Avec une nouvelle conception du politique, ils ont adopté le but de créer un foyer de contre-pouvoir rassemblant les multiples luttes démocratiques. Pour résister contre la peur et la terreur diffusée par le pouvoir, pour faire face à cette cour des choses effrayante qui nous est imposée et pour ne pas laisser seul ou à l’oubli ceux qui pour avoir dit tout haut la vérité de ce pouvoir payent aujourd’hui de leur personne, il faut s’unir dans le front de la démocratie. Là où va la Turquie est claire mais il n’est pas encore certain qu’il soit inévitable.
Paru dans Cumhuriyet, le 1er octobre 2016.